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Vendredi 16 juin 2023
Développement durable
Rexecode – Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : une menace pour la réindustrialisation en France et en Europe – publié le 7 juin 2023
Dans une étude intitulée « l’architecture de l’ajustement carbone aux frontières menace l’objectif de réindustrialisation », Rexecode a calculé l’impact de l’adoption en avril 2023 par l’Union européenne de trois textes qui renforcent le rôle au « prix du CO2 » en Europe avec une entrée en vigueur prévue pour octobre 2023. L’introduction d’une hausse du coût d’utilisation des énergies fossiles constitue une incitation très forte à la décarbonation. Toutefois, le nouveau Mécanisme d’Ajustement Carbone à la Frontière (MACF ou CBAM en anglais) qui remplacera progressivement le système d’attribution de permis gratuits, pourrait menacer la compétitivité des entreprises européennes et donc la réindustrialisation. En effet, les coûts engendrés pour les entreprises européennes vont fortement augmenter alors que ce ne sera pas le cas pour les principaux concurrents hors d’Europe.
Les auteurs de l’étude, Raphaël Trotignon et Olivier Redoulès, rappelle que l’Union européenne a été la première région du monde à mettre en place un système de permis d’émissions négociables fixant un prix aux émissions industrielles de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, l’Europe reste la zone où le prix du carbone est le plus élevé : entre 80 et 100 euros par tonne de CO2.
Aujourd’hui, deux types de mécanismes peuvent être adoptés pour atténuer le choc de compétitivité :
- Le premier consisterait à imposer une taxe sur tous les produits entrant dans l’Union européenne, égal pour chaque produit à son contenu carbone multiplié par le prix de la tonne de CO2 en Europe. La principale difficulté d’un tel mécanisme est la lourdeur administrative liée à l’instauration d’un système d’information et de traçabilité pour l’intégralité des produits, dans tous les pays et à tous les niveaux de la chaîne de production.
- Le deuxième mécanisme évoqué est celui décrit par le Nobel 2018 William Nordhaus dans son article sur les « Climate Clubs ». Pour éviter la complexité d’une tarification carbone à la frontière, Nordhaus préconise l’instauration d’un tarif douanier uniforme pesant sur tous les produits carbonés ou non, importés depuis les pays extérieurs à un « club de pays » ayant introduit une tarification carbone équivalente. Avec cette approche, le mécanisme devient un instrument de politique commerciale qui incite les pays ne faisant pas partie du « club » à mettre en place une tarification du carbone équivalente.
Le texte voté en avril par l’Union européenne s’approche du premier mécanisme, tout en respectant les règles de l’OMC.
Comme il est difficile de déterminer avec exactitude le contenu en gaz à effet de serre de tous les produits qui entrent en Europe, le MACF s’est concentré sur un certain nombre limité de produits peu transformés comme les produits de base en acier, en aluminium, le ciment et certains produits chimiques spécifiques comme les engrais.
A partir des données des douanes françaises pour l’année 2019, Rexecode a chiffré le coût du MACF sur les entreprises françaises : les importations de biens de la France en 2019 représentaient 575 milliards d’euros. Comme les produits sur la liste du MACF représentent 27 milliards d’euros d’importations, au final seulement 1,2 % du total des importations serait concerné, soit une valeur de 7 milliards d’euros serait potentiellement soumise à la compensation. Dans tous les cas, Rexecode conclut que « le rééquilibrage théorique procuré par le MACF se limitera à un nombre assez restreint de produits de base ». L’institut Rexecode utilise l’exemple de l’acier pour calculer le surcoût : une tonne d’acier primaire contient en moyenne 1,8 t CO2. A 100 €/t CO2, ceci représente une valeur de 180 € par tonne d’acier dont le prix est, en fonction des produits, d’environ 850 $/t soit 770 €/t. Le surcoût carbone augmenterait donc le prix d’une tonne d’acier à 950 €/t, soit au final une hausse de 23 %.
Si le champ d’application du MACF paraît limité, il s’accompagne d’un second volet : la suppression des allocations gratuites de permis. Pour rappel, cette allocation gratuite se fait annuellement, selon un mode de calcul qui tient compte du niveau d’activité et de « benchmarks » par produits ou en fonction de la consommation énergétique, afin de mieux compenser les installations dont l’intensité carbone est la meilleure pour un produit donné. Selon Rexecode, les permis aujourd’hui alloués gratuitement sont estimés à 45 milliards d’euros par an au niveau européen et 4 milliards d’euros en France.
Si le nouveau système veut protéger les producteurs européens sur certains produits, il présente plusieurs inconvénients. Premièrement, ce ne sont pas les entreprises des pays exportateurs qui paieront le prélèvement à la frontière, mais les entreprises européennes qui utilisent les biens concernés comme consommation intermédiaire. Ce sont donc ces secteurs utilisateurs qui vont voir augmenter le prix de leurs intrants, alors qu’ils étaient auparavant protégés par les allocations gratuites de permis aux industries en amont. Deuxièmement, en augmentant le coût de la transformation des produits de base, le système est une incitation à la délocalisation des chaînes en aval. Le risque est de perturber fortement les filières de transformation et de voir fuir, par exemple, les chaînes de production automobile. Par ailleurs, le système repose sur les informations fournies à l’importateur par le producteur dans le pays de provenance. La mise en œuvre opérationnelle sera probablement lourde et coûteuse.
Enfin, le MACF impose un coût supplémentaire aux produits entrant sur le territoire, permettant d’aligner leur coût sur les produits de manière plus onéreuse en Europe, mais il ne prévoit pas de mécanisme de compensation à l’export. Or les produits de base produits en Europe avec un prix du carbone élevé, risquent de perdre en compétitivité sur les marchés à l’exportation qui ne font pas face à un même prix du carbone.
Si le MACF tente de neutraliser les effets de compétitivité sur le marché domestique, il pourrait aggraver la compétitivité sur les marchés extérieurs d’autant que l’écart risque de se creuser avec les Etats-Unis qui ont mis en place des subventions avec l’Inflation Reduction Act.
Evolution des prix dans les principaux marchés du carbone dans le monde (en US $ par tonne de CO2)
Source : Rexecode d’après ICAP, juin 2023
Synthèse rédigée par Patrick Boério,
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