Placements : la leçon oubliée
Les prix du pétrole se sont récemment effondrés. Au moment où ces lignes sont écrites, la Bourse chancelle. Quand elles seront publiées, la Bourse sera peut-être repartie de plus belle… peut-être pas.
Les grandes interrogations portent sur l’efficacité des banques centrales à éloigner le spectre déflationniste et sur la capacité des économies européennes à reprendre malgré tout le chemin d’une certaine croissance. Il est normal de se poser des questions, et il est tout aussi normal de chercher à y répondre. Mais sait-on que cela est d’une importance très réduite pour la réussite des placements que l’on effectue ? C’est pourtant la grande leçon, trop souvent oubliée, de la gestion de patrimoine. Un exemple suffira pour s’en convaincre. Imaginons que vous êtes à la veille de prendre votre retraite, et que vous ayez reçu il y a près de quarante ans un petit héritage, de près de 70.000 francs en 1972, soit pour simplifier l’équivalent de 10.000 euros. Admettons qu’à l’époque vous n’aviez pas la moindre culture économique ou financière, et que vous ayez échappé à toutes les analyses autorisées de l’époque selon lesquelles l’or était un placement stérile qui n’avait plus aucun avenir après une baisse continue sur les deux décennies précédentes. Par ignorance ou naïveté, vous avez mis tout votre capital en métal jaune. Et vous ne vous en êtes plus occupé. Vous n’avez donc pas été alerté lorsqu’en 1973, l’État a émis un emprunt indexé sur l’or, preuve s’il en était besoin que ce placement n’avait aucune chance…
L’or réserve des surprises
Mais soudain, en 1982, vous vous êtes souvenu que vous aviez acheté autrefois quelques lingots et pièces, et vous avez fait un rapide calcul : votre mise avait été multipliée par plus de sept, soit, en équivalent euros, 73.600. Que faire ? À l’époque, vous n’étiez ni plus intéressé, ni plus compétent en matière économique, et vous n’avez pas pris la peine de prendre en compte le fait qu’il y avait quatre ministres communistes au gouvernement, ou que la Bourse venait d’être amputée de ses plus beaux fleurons par les nationalisations. Tout en actions !
Vous avez continué dans votre vie familiale et professionnelle, toutes deux très absorbantes sans compter les vacances et quelques voyages, et vous avez traversé sans y prêter attention ce que d’autres ont vécu douloureusement : le krach de 1987, les mini-krachs périodiques dans les années suivantes, vous n’avez pas jugé bon de vous attarder sur de grands sujets qui irriguaient même la presse grand public, et avez superbement ignoré les débats sur la bulle financière des années 1990.
Mais, en 1999, vous avez décidé, vu votre âge, de commencer à penser à votre retraite. Là, regardant de près votre portefeuille, vous avez reçu un choc : 1.980.800[1] en équivalents euros (celui-ci devait naître l’année suivante), soit une multiplication par près de 30 !
Pris de vertige, et toujours aussi poète égaré loin des chemins de la culture économique et financière, vous avez décidé de revenir vers l’or et, ignorant les lois sacro-saintes de la diversification, vous avez transformé en lingots la totalité de vos avoirs.
Les actions au bon moment
Dix ans plus tard, en 2008, le fracas de la crise mondiale a finalement réussi à vous atteindre. Vous avez de nouveau fait votre bilan, pour constater, nouvelle surprise, que vous en étiez à 4.132.400 euros. Agacé par le pessimisme dominant et surtout l’ambiance «fin du monde», vous avez pour la première fois pris une décision réfléchie, mais une décision arrogante : retour vers les actions, que des actions ! Pour finir, début 2014, en vous préparant à prendre votre retraite, vous avez examiné votre portefeuille: 7.257.300 euros… Quatre choix en quarante ans, mais quels choix !
Bien sûr, cette histoire est purement fictive, ce n’est pas ce que vous avez fait. Ni personne. Ni les experts, ni les professionnels de la finance ou du conseil en placements, ni les «investisseurs avertis».
Nous touchons ici le grand paradoxe qui domine le champ de l’épargne et des placements. Les meilleures décisions d’investissements deviennent évidentes après coup, dans le rétroviseur. La recherche des points les plus bas pour acheter et des plus hauts pour vendre, relève du mythe. L’actualité quotidienne est le plus mauvais conseiller en placements qui puisse exister. L’on peut, et l’on doit, essayer d’être intelligent. Certaines règles de bon sens, sur la diversification ou sur la façon de guetter les grandes tendances, ont fait leurs preuves en matière de protection de l’épargne durement acquise. Mais les marchés réservent leur part irréductible d’imprévu. Tout comme l’économie. Et l’imprévu contient certes de mauvaises nouvelles… mais aussi des bonnes.
[1] Les calculs sont faits en supposant que la performance du portefeuille a été celle des indices (sur la période : CAC 240, puis SBF 250 puis CAC All-tradable), et que les dividendes étaient réinvestis ; la fiscalité n’a pas été prise en compte pour cet exemple simplifié.
Guy Marty